Mahéva Manganaro
Mahéva raconte comment sa quête d’un mode de vie aligné avec ses valeurs l’a aidée à transformer son éco-anxiété en une force motrice. Cette énergie a même donné naissance à FairTrotter, son projet de tourisme durable, conçu pour concilier respect de l’environnement et plaisir de voyager autrement.

Où est-ce que tu vis et à quoi ressemble ton chez-toi ?
Je vis à Charenton-le-Pont, une ville à la périphérie de Paris. Le métro est juste à côté de chez moi. J’ai donc un accès très facile à Paris tout en étant proche de la nature, puisque je suis aussi à proximité du Bois de Vincennes. J’y vais tous les jours pour me faire un shot de nature en promenant mon chien.
Mon appartement est un 50 mètres carré pour lequel j’ai chiné beaucoup d’objets sur Le Bon Coin. J’en suis assez fière. Par exemple, j’ai une table fabriquée à partir d’un ancien enrouleur de câbles, transformé par un artisan. Cela prend du temps mais permet d’avoir des pièces uniques tout en étant dans une démarche éco-responsable.
Quel est ton métier et quel impact penses-tu qu'il a sur le monde ?
Je suis cofondatrice et présidente de FairTrotter, une agence de voyages bas carbone et inclusive, pour les particuliers et les entreprises. On propose des séjours individuels et de groupe, en France et en Europe, exclusivement articulés autour de la mobilité douce (sans avion ni voiture thermique). En revanche, on s’amuse avec plein d’autres moyens de transport respectueux de l’environnement. On ajoute aussi des hébergements certifiés éco-responsables et des activités durables.
Donc forcément, ça a un impact positif sur le monde. D’autant plus qu’on essaie d’articuler l’impact environnemental avec l’impact social, parce que les deux nous semblent impossibles à dissocier. On travaille pour que nos séjours soient inclusifs, accessibles à tous et toutes, peu importe l’âge, le handicap, l’orientation sexuelle, etc.
C’est un long travail, mais on a cette volonté car on pense qu’il est essentiel de continuer à voyager pour découvrir des cultures et des paysages qui nous ouvrent les yeux.


Peux-tu nous raconter tes dernières vacances ?
Cet été, je suis partie deux semaines en Slovénie pour tester un circuit qu’on envisage d’intégrer à Fairtrotter. Le voyage s’est fait exclusivement en train, partant de Paris jusqu’à Munich puis jusqu’à Ljubljana en train de nuit. Et hop, on est en Slovénie !
Énormément de personnes qui visitent la Slovénie louent une voiture là-bas pour bouger. Nous on a utilisé le train et le bus. C’était très facile. On a aussi fait trois jours d’itinérance à vélo.
Le pays est magnifique, avec une diversité de paysages incroyable. Le territoire est tout petit, donc on peut vraiment voir pas mal de choses en deux semaines et même sortir des sentiers battus.

Est-ce que mener une vie plus écolo et voyager durable est accessible à tout le monde ?
Oui et non… J’ai conscience qu’il faut déjà un certain niveau de vie pour vivre à Paris, mais disons que je ne fais pas du tout partie de la tranche la plus aisée du panier. Pourtant, j’adopte au max un mode de vie écolo. Vivre plus sobrement m’a permis de réduire mes dépenses. Par exemple, en supprimant la viande de mon alimentation et en réduisant mes achats vestimentaires à de la seconde main grâce à Vinted ou aux friperies, j’économise. De manière générale j’achète moins, mais de meilleure qualité. Donc in fine, on s’y retrouve.
Voyager en train peut effectivement coûter plus cher qu’un billet d’avion low cost, notamment en France. Prendre un hébergement qui a des engagements durables coûte généralement plus cher qu’un Airbnb. C’est un budget, on en a conscience. Mais il ne faut pas oublier qu’avoir les moyens de voyager est de toute façon un luxe. Alors on se bat pour qu’il y ait des décisions politiques en faveur de la démocratisation financière du voyage durable.
Comment célèbres-tu Noël ?
Je retourne dans ma famille qui est dans le sud-est, près de Toulon. J’adore faire des cadeaux immatériels, notamment des expériences ou des moments partagés. Je m’amuse énormément à trouver des idées personnalisées. Par exemple, l’an dernier, j’ai offert à ma mère et ma grand-mère un atelier de poterie avec WeCanDoo. Voir les trois générations en train de faire de la poterie pendant deux heures, c’était une expérience qu’on n’est pas prêtes d’oublier !

Une partie de ma famille n’est pas du tout alignée avec mes valeurs. Donc eux, ils sont plus dans la consommation voire la surconsommation. Quasiment tous les ans, il y a un nouveau téléphone portable parmi les cadeaux, des choses comme ça. Face à ça je n’ai pas grand-chose à dire, si ce n’est d’essayer de les sensibiliser au fur et à mesure.
Le repas est la partie la plus compliquée pour moi. Je suis la seule végétarienne de ma famille, depuis sept ans. Jusqu’à il y a trois ans je m’adaptais à leur nourriture, puis j’ai décidé de ne plus faire de compromis car c’était trop dur psychologiquement. Mon alimentation est un sujet de débat récurrent avec ma famille… Je me dis que ça s’améliorera au fil des années.
Tu penses réussir tout de même à insuffler des changements et questionnements ?
Oui ! Avec ma mère, par exemple. Au tout début de ma transition, elle m’a dit : « Oh, je te préviens, tu ne m’embêtes pas avec tes trucs, tu me laisses faire, tu ne me juges pas, moi, je fais ce que je veux. » Aujourd’hui, ma mère fait sa propre lessive, ne mange quasiment plus de viande et ne prend pas l’avion. Quand elle a vu que mon mode de vie me rendait heureuse, elle s’est dit « Bon, finalement, ça a l’air d’être pas si mal, ce truc-là. ».
Est-ce que tu as rencontré des difficultés dans ta transition écologique ?
Non, car ma transition a été progressive. Ce qui me pèse le plus, c’est l’image qu’on renvoie. En guise d’exemple, j’aime bien raconter la fois où un ami de mon père a supposé que je ne boirai pas de champagne, car pour lui si je ne mange pas de viande, je ne suis pas fun, donc je ne bois pas d’alcool. Une semi-boutade qui est bien représentative du quotidien des végétariens.
Je dois aussi constamment justifier mes choix, alors que je pars du principe que c’est plutôt aux autres de le faire… Il faut avoir une sacrée force de caractère pour tenir ses engagements et ne pas plier.
Comment décrirais-tu la vision que tu as de ta propre vie ?
En paix avec moi-même. J’ai fait ces choix car je commençais à être très affectée par l’éco-anxiété. Aujourd’hui, avec tout ce que je sais sur les enjeux environnementaux et sociaux, il m’est impossible de faire marche arrière. Je n’ai pas d’autre choix si je veux rester en accord avec moi-même. Même s’il y a encore des choses à améliorer, je me sens désormais alignée dans ma vie personnelle et professionnelle, ce qui m’a apaisée. C’est une satisfaction précieuse, et je suis contente d’avoir pris cette voie.
Si tu pouvais promulguer une loi dès demain, quelle serait-elle ?
Je taxerais fortement le kérosène, qui n’est aujourd’hui pas taxé. Je diminuerais aussi le montant du droit de péage ferroviaire en subventionnant massivement les réseaux français et européens, afin de rendre les voyages en train plus accessibles. Ce serait un moyen simple de rendre la mobilité douce plus attractive et même d’en faire un réflexe, à minima en France.
As-tu des recommandations de livres, podcasts ou films sur l’écologie ?
Je recommande le travail de Timothée Parrique, notamment son livre Ralentir ou Périr. Timothée Parrique est un économiste de la décroissance qui explique de manière claire et concrète pourquoi et comment ralentir notre modèle économique sans sacrifier notre qualité de vie. Il vulgarise très bien ces sujets, c’est accessible à tout le monde. Ce que j’ai aussi adoré avec lui, c’est qu’il permet vraiment dans un monde plus sobre, il donne des idées concrètes. Vous vous en rendrez compte en écoutant l’épisode Décroissance, retour à la lampe à huile ? du Greenletter Club avec Thimothée Parrique.

Bilan environnemental de la vie de Mahéva : 4,2 tonnes de bonheur.
Alors, ça ne donne pas envie ?